Rémunération pour copie privée : un arrêt capital pour sa défense

La copie privée est prévue par les art. L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle (ci-après C.p.i.) s’agissant des œuvres, et par l’art. L. 211-3 du même code pour les interprétations et la production d’exemplaires notamment. Et le législateur, en 1985, estimant que dorénavant la copie privée causait un préjudice sensible aux  titulaires de droit, a prévu une indemnisation des intéressés, appelée « rémunération pour copie privée », assise sur les supports d’enregistrement d’œuvres interprétées (cassettes audio ou vidéo, Compact disc, DVD, smartphones, disques durs externes…, art. L. 311-1 et s. C.p.i.).

Dans l’espèce jugée par la Cour de cassation le 17 mars 2016, un litige opposait de longue date les sociétés Copie France, Société chargée de la collecte de la rémunération pour copie privée, et les sociétés Sony Mobile et Motorola, fabricants et importateurs de supports d’enregistrements.. L’article L. 311-5 C.p.i. précise que la rémunération pour copie privée et les modalités de sa perception doivent être fixés par une Commission administrative composée de bénéficiaires et de redevables et présidée par un représentant de l’Etat. Les décisions de cette Commission sont, en cas de contestation, soumises au jugement du Conseil d’Etat. C’est ainsi que certaines décisions : les décisions n° 8, n° 9 et n° 10 ont été annulées au motif que la commission n’avait pas, dans sa décision, clairement écarté dans le calcul du préjudice subi par les ayants droit les copies issues de sources illicites et la décision n° 11 au motif que la commission n’avait pas exclu de l’assiette de perception les supports acquis à des fins professionnelles.

L’usage qui a prévalu jusqu’ici est que les annulations soient prononcées sans qu’il y ait rétroactivité dans leur effet sous réserve cependant des contentieux en cours. C’est de cette réserve des contentieux en cours que pouvaient se prévaloir les sociétés Sony Mobile et Motorola suite à l’annulation par le Conseil d’Etat des décisions n° 8 et n° 10. Ces sociétés avaient alors demandé à la société Copie France le remboursement intégral des sommes par elles versées au titre des décisions annulées et avaient mis fin à toute nouvelle déclaration pouvant résulter de l’application des décisions annulées. La société Copie France, s’appuyant sur l’article L. 311-1 C.p.i., avait alors demandé au juge judiciaire, constatant l’annulation des tarifs établis par la Commission, d’évaluer le préjudice subi par les ayants droit du fait des copies privées réalisées sur les supports concernés et de fixer le montant de la compensation équitable due par les sociétés Sony Mobile et Motorola, fabricantes et importatrices des dits supports. Le juge judiciaire avait alors accédé à cette demande et fixé un montant compensatoire dû par les sociétés Sony Mobile et Motorola.

La Cour d’Appel, saisie par les sociétés débitrices avait, par un arrêt du 7 octobre 2014, confirmé ce jugement. C’est un point final à cette affaire que vient d’apporter la première Chambre civile de la Cour de Cassation en ses arrêts n° 266 et n° 267 du 17 mars 2016. Elle a rejeté les pourvois des sociétés Sony Mobile et Motorola demanderesses en affirmant : « qu’il résulte de l’article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle, qui doit être interprété à la lumière de la directive 4 2672001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, que les titulaires d’un droit exclusif de reproduction doivent recevoir une compensation équitable destinée à les indemniser du préjudice que l’application de l’exception de copie privée leur cause… », et surtout « qu’il appartenait au juge judiciaire de procéder à l’évaluation de cette compensation, perçue pour le compte des ayants droit par la société Copie France et calculée sur la base du critère du préjudice causé à ceux-ci par l’introduction de l’exception de copie privée ».

C’est avec soulagement que les ayants droit ont accueilli cet arrêt qui peut selon eux mettre un frein aux recours en annulation systématiques portés par les industriels à l’encontre des décisions de la Commission pour Copie Privée, en ce sens qu’il sera désormais acquis que même en cas d’annulation d’une décision assujettissant un quelconque support d’enregistrement, une compensation équitable sera dans tous les cas due et pourra alors être fixée par le juge judiciaire. L’intérêt à agir des redevables s’en trouvant ainsi considérablement réduit.

Par Alain Charriras

Publié le : 
20 Mars 2016
Auteur de l'article : 
Alain Charriras
Source(s) : 
Divers