Versement de la « rémunération équitable » aux ayants droit d’un Etat tiers à l’Union européenne

Sur un point apparemment secondaire du droit de la musique, mais aux répercutions économiques considérables, la Cour de justice de l’Union européenne vient de rendre une décision capitale : elle a déclaré, que les sociétés de gestion chargées des intérêts des interprètes et celles chargées des intérêts des producteurs doivent reverser la « rémunération équitable » qu’ils récoltent pour le compte de ceux qu’ils représentent, non seulement aux ayant droits de l’Union Européenne, mais même aux ressortissants de pays tiers à celle-ci (CJUE 8 septembre 2020, aff. C-265/19, Recorded Artists Actors Performers Ltd c. Phonographic Performance (Ireland) Ltd) ; et son argumentation, liée à la validation internationale du mécanisme par la convention de Rome de 1961 et le traité sur les interprètes et exécutants de phonogrammes entré en vigueur dans l’Union en 2010 (TIEP), est qu’« en vertu de l’article 4 de la convention de Rome, tout artiste interprète ou exécutant ressortissant d’un État contractant à cette convention doit bénéficier du traitement national accordé par les autres États contractants à leurs propres ressortissants », et que cela vaut même si « certains États membres ont notifié une réserve en vertu de l’article 5, paragraphe 3, ou de l’article 17 » de cette convention, comme c’est le cas des Etats-Unis (CJUE 8 septembre 2020, décision précitée, consid. n° 67). Ce faisant, elle prend le contrepied de ce que prévoyait, en France, l’art. L. 214-2 du Code de la propriété intellectuelle (ci-après CPI) qui, fort de l’idée de réciprocité, réservait ce versement aux interprètes de phonogrammes (entendre par là morceaux de musique) « fixés pour la première fois dans un Etat membre de la Communauté (entendre par là : l’Union) européenne », excluant de cette façon les ayants droit de phonogramme fixés dans les pays tiers, notamment les Etats-Unis. Pour comprendre ce qu’est la « rémunération équitable », il faut revenir à l’art. L. 214-1 CPI prévoyant en France un mécanisme de licence légale : en vertu de ce texte, les diffuseurs, comme les radios, n’ont pas d’autorisation préalable à demander aux interprètes ni aux producteurs avant de diffuser un morceau de musique, mais ils doivent en échange leur reverser une « rémunération équitable », assise sur les recettes d’exploitation ainsi générées (sur ce mécanisme, v. J. Huet et alii, Droit de la musique, Lextenso 2016, n° 124). La validité du procédé, admise au niveau international, est reconnue par l’art. 8-2 de la directive européenne 2006-115 du 12 décembre 2006 sur la location et de prêt et à certains droits voisins du droit d'auteur, dont la Cour de justice donne son interprétation en déclarant que cette « rémunération équitable » doit être reversée, par ceux qui la perçoivent, à tout les ayants droits qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Europe. Or, cela va directement à l’encontre de ce que prévoit l’art. L. 214-2 du CPI et de la nécessité où se sont trouvées les sociétés de gestion concernées de traiter les sommes non versées comme des « irrépartissables » (sur cette notion, v. J. Huet, précité, n° 158) et de les affecter, comme l’exige l’art. L. 321-9-2° CPI, à l’aide à la création artistique. Et le drame est encore plus grand si l’on mesure que la réclamation des ayants droits situés hors de l’Europe peut remonter en arrière sur cinq ans, conformément au droit commun de la prescription. Cela se chiffre en centaines de milliers d’euros…

Publié le : 
15 Janvier 2021
Auteur de l'article : 
jérôme Huet
Source(s) : 
Divers